Vient de paraître les Cahiers du Développement Social Urbain N°55 auxquels j’ai eu le plaisir de collaborer tant dans la conception générale de son contenu que par la rédaction d’un article dont je vous livre le contenu:
Citoyenneté et éducation : les enjeux majeurs de la formation des habitants des quartiers aux usages des TIC.
Plus que de parler des technologies de l’information et la communication en tant que telles, c’est le développement des usages du numériques qui doit retenir l’attention des acteurs de la politique de la ville. En effet, le développement de ces usages induit de nouvelles formes d’exclusion ne pouvant être contrer que par la formation et l’éducation aux usages. C’est sur ce point, et non exclusivement sur l’accès aux équipements, qu’il convient de se concentrer désormais pour éviter que ne se creusent les inégalités numériques.
Sans mettre de côté le volet technique de ce que certains nomment la révolution du numérique, l’enjeu dans les quartiers de la politique de la ville est certes de s’attacher à ce que chacune et chacun ait accès aux matériels et à l’indispensable connexion internet, mais aussi de veiller de manière concomitante à la formation et l’éducation aux usages. Cela est d’autant plus fondamental qu’avec le développement constant et rapide des possibilités offertes pas le net, le vocabulaire et les outils technologique se développent, créant une nouvelle forme d’exclusion (réseaux sociaux, blog, cloud, microblogging, Qr code… ). Notre expérience nous pousse à inviter l’ensemble des acteurs de la politique de la ville à agir dans le cadre des réalités et des préoccupations rencontrées par les populations des quartiers, car le numérique n’est pas déconnecté de la vie, il fait partie du quotidien de tout un chacun. De notre expérience, nous repérons deux grands champs d’intervention majeurs, la citoyenneté- avec l’accès aux droits et l’expression- et l’éducation.
Être en capacité d’utiliser les services en ligne
L’accès aux droits : On abordera ici la question de la dématérialisation des services qui correspond à la mise en ligne sur le web et via la télématique de l’ensemble des services publics et commerciaux rendus auparavant physiquement. Pour une majorité des individus, la dématérialisation représente un gain de temps par un plus large accès aux services et une adaptation à nos rythmes de vie (guichets virtuels accessibles 24 heures sur 24, paiement de prestations, consultation de dossier, …). Toutefois, force est de constater que pour un nombre important de personnes en difficultés et qui n’ont pas eu la formation nécessaire, l’accès à ces services est devenu un véritable handicap
En effet, accéder à son profil Pôle emploi, consulter ses dossiers sur les sites de la caisse d’allocation familiale, remplir sa déclaration d’impôt en ligne, répondre à une annonce, envoyer son CV, tapoter sur les touches de son téléphone pour avoir le bon renseignement ou avoir le bon interlocuteur sont autant de gestes du quotidien qui nécessitent d’avoir un minimum de compétences dans la manipulation des outils matériels (clavier, souris) et des interfaces web ou encore dans la compréhension des instructions données au téléphone par une voix synthétique.
Petit à petit, tout ce qui concerne notre quotidien et fonde notre identité administrative devient virtuel. État civil, dossier de santé, factures, déclarations diverses sont stockés dans ce que l’on nomme « cloud » (littéralement nuage). Lorsque pour certains la moindre démarche administrative physique est une difficulté du fait de la langue ou d’un manque de formation, imaginer que son curriculum vitae, son dossier de santé, …, sont dans « les nuages » devient alors très perturbant. L’accompagnement et la formation des publics sont indispensables pour ne pas subir, mais comprendre et agir.
Avoir un usage raisonné des espaces virtuels d’expression
Le web évoluant, on est passé il y a quelques années du Web 1.0 au web 2.0 . Avec le web 2.0 se sont développées les possibilités d’échanger, de participer à des formes nouvelles de vie sociale. En quelques clics, le monde est accessible et interactif. Depuis son écran d’ordinateur, son smartphone ou sa tablette il est non seulement possible de découvrir de nouveaux horizons mais également d’établir de nouvelles relations. Il est possible de lire, de voir et d’entendre mais également de partager ses propres productions. Les plates-formes de mise en ligne audio et vidéo, les réseaux sociaux se sont démultipliés. Ils offrent la possibilité de se retrouver en cercle d’amis, de collègues, ou encore de faire des connaissances par centres d’intérêts. Sans parler du monde économique qui les ont massivement investis, les réseaux sociaux sont devenus notamment pour les jeunes générations un des lieux constitutifs de leur socialisation. On imagine au quotidien l’intérêt potentiel de ces outils. Les possibilités sont immenses pour que dans chaque ville, quartier, rue, immeuble chacun retrouve de la parole. Souvent il est dit : « on y croise le meilleur comme le pire ». C’est vrai et c’est pour cela qu’il convient également d’aborder la dimension éducative aux usages raisonnés et maîtrisés du numérique, pour que le net reste majoritairement un espace de liberté et soit de plus en plus un vecteur de valorisation et de construction du patrimoine de l’humanité.
Comprendre le fonctionnement et les codes du webmedia.
Au-delà du nécessaire accès au matériel à la connexion et la formation aux outils, se pose la question de l’éducation. Savoir faire le tri dans ce que l’on reçoit, démêler ce qui relève de l’information, de la prise de position ou du prosélytisme, ne s’improvise pas. Quels comportements avoir sur le net ? Quelles pratiques avoir par exemple vis à vis de la diffusion, la question du droit d’auteur et le téléchargement ? L’éducation aux médias, que ce soit pour les enfants, les adolescents ou les jeunes adultes, nécessite que l’on s’intéresse à leurs usages et pratiques tout en respectant leur part d’intimité virtuelle ; et que , comme en tout temps et toutes époques, l’adulte assume sa fonction éducative, même si celle-ci doit être fondamentalement repensée et adaptée à l’ère numérique. Il faut inviter et aider les publics à comprendre les enjeux en matière de diffusion du savoir, de la culture, de la préservation des libertés, pour chacun puisse se faire son opinion et se positionner notamment face aux règles législatives et commerciales qui peu à peu structurent cette société numérique (HADOPI, ACTA, …). Comprendre et maîtriser les enjeux de la société de l’information et la communication n’est pas une question mineure. Cela contribue à la maîtrise de son identité numérique, à mieux identifier l’image que l’on renvoie. C’est aussi une question de citoyenneté.
Puisque le numérique est en train de bouleverser nos modes de relations économiques et sociales, il importe que chacun ait la possibilité de s’y investir, de se positionner et agir s’il le souhaite.
C’est une question éminemment républicaine qui renvoie au valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité !
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